Je vous présente dans cet article l’objet de ma spécialisation en sociologie du travail et en communication des organisations. Cette spécialisation m’a permis de développer mes propres principes de communication interne et de produire des prescriptions adaptées pour le management en entreprise. Mon moyen est d’identifier les causes de rupture communicationnelle au travail et ma finalité est d’utiliser des méthodes spécifiques pour soutenir la gouvernance de l’entreprise et guider les activités de prescription pour retrouver de la motivation à travailler ensemble.
Les ruptures communicationnelles peuvent avoir des motifs individuels, mais elles ont aussi et surtout des motifs sociaux. Car le travail, activité strictement humaine et non naturelle, est devenu aujourd’hui un principe bien plus complexe que les seuls enjeux de subsistance qui le motivaient au départ. J’ai développé cette approche sociologique dans mon mémoire de Master 2 (Elle est apolitique).
Le travail est devenu ce principe latent qui organise nos sociétés modernes, s’insinue dans nos existences depuis la scolarité jusqu’à cette fin d’activité que l’on nomme retraite, souvent très attendue, mais dont l’avènement, pour nos nouvelles générations, ressemble de plus en plus à une lointaine chimère.
Pour résumer la situation par un trait d’esprit, on pourrait dire que la question de la motivation des intérêts est devenue la question de l’intérêt de la motivation. Tous les acteurs de l’entreprise n’ont peut-être pas, ou plus, les mêmes motifs, ne partagent peut-être plus les mêmes motivations, dans le fond et dans la forme. La rupture serait-elle donc aujourd’hui consommée entre les prescripteurs du travail et les exécutants, peu importe leur niveau hiérarchique ? Pourrait-on expliquer que les motifs de l’entreprise, essentiellement « faire du profit » ne permettent plus la motivation pleine et entière des acteurs qui la composent ?
Le travail, source de profit, est aussi une valeur sociale.
Le profit ne peut être la seule motivation de l’entreprise, au risque de ne pas fédérer toutes les énergies nécessaires ou d’exclure des motifs secondaires pourtant essentiels à son action : ce sont tous les moyens de faire aboutir le motif, de tendre vers le succès de l’entreprise qu’il faut englober sous le substantif «motivation».
Le travail bien plus qu’une motivation ou un motif peut aussi être érigé au rang de valeur. C’est-à-dire un principe reconnu comme supérieur et utile socialement. Le travail est plus qu’un processus, c’est un pilier social. Il propose à la fois un procédé permettant le gain matériel et social mais c’est aussi un principe d’organisation sociale.
On trouve dans l’acte de travail un entrelacs de motifs et de motivations
Le travail est alors bien plus qu’une seule forme sociale ; il agrège non seulement les normes sociales habituelles mais il refonde également les modalités du « vivre ensemble » en édictant de nouvelles normes et en créant même de nouvelles formes sociales. Là où l’on attendait un seul moyen de subsistance, on trouve dans l’acte de travail un entrelacs de motifs et de motivations qui, parce qu’il requiert des principes organisationnels fort de cohésion et de cohérence, recréent du réel.
Ainsi le travail produit non seulement un classement social par revenu et par activité, mais il introduit une hiérarchisation des individus au sein même de l’entreprise. Ce que l’Humanisme et les philosophes des Lumières avaient érigé en principe, ce que la Révolution a inscrit dans la Constitution française, l’égalité des individus entre eux, l’organisation du travail le nie et préserve la hiérarchisation des personnes, non plus par leur naissance, mais par leur fonction dans l’entreprise. L’égalité prévue par la Constitution l’est en droit, c’est vrai, mais l’entreprise pérennise une inégalité de fait, une organisation sociale où certains individus sont soumis à d’autres par leur qualité non plus humaine ou sociale, mais fonctionnelle.
Pourtant aujourd’hui, en dehors du monde du travail, plus de hiérarchie d’individus. Ils se caractérisent avant tout par une réalité politique car ils se considèrent citoyens égaux alors que l’entreprise les transforme en salariés inégaux. L’entreprise redistribue donc les rapports sociaux «normaux» et les soumet à ses règles propres. Ces règles sont exorbitantes des règles sociales communes. Elles classent les acteurs selon leurs qualités et leurs fonctions ; de nouveaux groupes sociaux particuliers au monde du travail émergent alors dans le champ social : des directions stratégiques et des directions opérationnelles, des cadres supérieurs, des cadres dirigeants, des cadres intermédiaires, des employés, des ouvriers…
Par ailleurs, le travail économique organisé l’est toujours au motif du profit. Sinon il le serait à perte et s’arrêterait faute de rentabilité. Le travail collectif rémunéré n’admet donc pas l’échec. Son principe repose sur un équilibre comptable et le dégagement d’une plus value. Cette plus value constitue la norme essentielle du travail collectif rémunéré et non subventionné. Elle est donc aujourd’hui un enjeu social majeur, puisqu’elle fonde la mise au travail, justifie ses multiples mises en forme organisationnelles et reste le moteur des sociétés capitalistes.
Le travail nécessite la construction d’un collectif dédié à mieux produire.
Que l’organisation soit traditionnelle ou de forme projet, la distinction est toujours valable entre l’individuel et le collectif. Il y a pourtant toujours une concomitance entre le travail effectué par un salarié et le travail pris collectivement, ce dernier étant plus que la somme des travaux individuels, il est aussi le résultat de leurs effets. En quelque sorte le tout vaut plus que la somme des parties ; c’est une des motivations du travail collectif : associer des compétences individuelles pour produire un travail plus efficace. En somme, maximiser le profit en unissant diverses forces de travail qui seules, seraient moins productives.
Ni le salarié, ni l’entrepreneur ne peut se prévaloir du succès collectif
Aujourd’hui c’est la conception de ce collectif qui semble faire défaut chez les prescripteurs du travail. Le chef d’entreprise a peut-être le talent de chef d’orchestre, mais il n’a pas le talent de chaque salarié qu’il a mis à contribution pour obtenir la symphonie qui nait de sa main, par sa stratégie et son bon management. Cette symphonie n’est possible que par le collectif. Ni les uns, ni les autres n’auraient pu aboutir s’il y avait eu une faute d’accord. Ainsi ni le salarié, ni l’entrepreneur ne peut se prévaloir du succès collectif.
Actuellement le monde du travail peut sembler incohérent et paradoxal car il n’a pas su s’adapter à une poussée de l’individualisme qui engendre une quête égale ou supérieure au profit, celle de la reconnaissance au et par le travail. Or le travail étant socialement central, il sous-tend une grande part de l’individualité car il qualifie, classe, rémunère… il ne doit cependant pas faire de ce classement un principe unique de fonctionnement. Il s’organise en effet parmi des motivations individuelles complexes qui ne sont pas uniquement orientées vers le profit matériel mais vers le profit social. Il serait donc socialement incohérent et contre-productif de limiter sa valeur à l’aspect pécuniaire. Et encore plus injuste de classer les individus sans une autre compensation sociale, celle de cette reconnaissance au travail qui ne passe pas uniquement par le salaire mais aussi par l’attention portée aux qualités individuelles. A cet endroit la communication interne a tout son rôle à jouer puisqu’elle permet de mettre en lumière la valeur du collectif et la valeur individuelle dans un même principe, celui des relations interprofessionnelles et interpersonnelles motivées par la même « entreprise », celle de pérenniser le succès de l’organisation dont elles dépendent.
Ainsi l’entreprise pour éviter toute rupture non plus seulement communicationnelle mais sociale, devrait avoir pleinement conscience des enjeux sociaux qui la dépassent et conditionnent sa pérennité. La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) trouve ici sa justification mais là encore, il ne faut pas confondre motifs et motivation. Le vrai motif est l’aspect social à travers l’aspect économique. La création d’une marque employeur forte, déclinée et sincère est un principe clé à mettre en place, car c’est le miroir de cette prise en charge sociale.